mardi 15 novembre 2022

La société aide-t-elle les aidants et inclut-elle vraiment les enfants et adultes porteurs de handicap?

 

Voilà, les premières vacances après la rentrée viennent de s'achever, l’année scolaire est bien amorcée. Plus de photos de couchers de soleil, de mamans parfaites en bikinis, ou de nouveaux cartables Spiderman ou Barbie sur Instagram. Vous avez pleins de résolutions, plein d’idées. Vous avez choisi la résidence étudiante pour votre aînée en école de commerce de banlieue parisienne, trouvé un stage dans une pâtisserie à votre deuxième, réinscrit votre dernier à ses activités. 

Vous avez eu le casse-tête du choix de son établissement, public ou privé. Vous espérez qu’il sera dans la même classe que ses copains. Vous craignez sa trop intense vie sociale, ses sorties, toutes les invitations à des soirées, à des dîners.

Pour nous parents d’enfants ou d’adolescents porteurs de handicap, parents aidants, cette organisation est angoissante et douloureuse, que ce soit pour « un enfant sans histoire » ou au contraire pour un enfant avec trop d’histoires. Elle fait suite à la période d’été où il a déjà fallu réfléchir à comment l’occuper : pas de structure adéquate, pas d’amis pour lui proposer de l’emmener…

Nous devons nous poser des questions que la majorité n’a pas à se poser : nouveau dossier MDPH (maison départementale des handicapés) de plus de 20 pages à remplir qui ne sera étudié que 4 à 18 mois après, structure ordinaire avec AESH, AEEH, ou IME, CLIS pour les plus jeunes, ULIS… Ces acronymes vous sont inconnus à vous parents de la chance.

Il nous faut également prévoir les aides humaines ainsi que le budget alloués à son bien-être, sa sécurité, sa santé, sa scolarité. Tout ceci demande une énergie et une adaptabilité extraordinaires. Heureusement, je suis épaulée par des amis et des parents formidables.

Le tout avec cette boule au ventre qui ne nous quittera jamais et que nous essayons de ne pas laisser transparaître ni devant lui parce que ça ne ferait qu’ajouter à ses propres inquiétudes et souffrances, ni devant nos connaissances, que nous laissons nous abreuver de tous les exploits de leurs progénitures (il est ceinture noire au judo, il a tellement de facilités qu'il n'a pas besoin de travailler…)  

 Comment sera son nouvel établissement cette année ? Même s’il est « prévenu » sera-t-il accueillant, bienveillant ? Comment sera le regard des autres, adultes et enfants, cette année ? Va-t-il être harcelé, va-t-il être moqué ? ? Qui voudra chercher à le comprendre ? Mon enfant sera-t-il assez adapté ? Qui va vouloir l’aider ? Qui acceptera de « s’adapter » ? Qui va l’aimer ?

Nous nous préparons particulièrement avant la rentrée à affronter tous ces regards. Heureusement nombreux sont enveloppants, gentils, compatissants. Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d'approcher Yann Bucaille. Après avoir rencontré un jeune trisomique qui voulait un travail, il est passé du stade de compatissant à celui d’agissant en fondant les Cafés Joyeux. « La richesse la plus grande est la richesse humaine » se plaît-il à déclarer. J’espère qu’il sera à mes côtés dans une nouvelle épopée.

Certains sont indifférents, j'ignore comment ils font, les gens qui ne se sentent concernés ni par la maladie, ni par le handicap. Ce sont des situations qui n’arriveraient qu’aux autres. Certains sont hostiles, ils émettent des avis négatifs parfois d'emblée : il ralentit la classe, il n'est pas à sa place…

Et ceux qui vous posent la main sur l'épaule en vous disant « bon courage », ceux qui portent un regard condescendant presque pathétique.

Je ne demande pas de commisération, je n’affirme jamais, même pour me consoler, que mon enfant est extraordinaire ou essentiel pour les autres. J’ignore si le handicap est une richesse pour la société mais il fait partie de la société.

Le triptyque inclusion-bienveillance-diversité semble bien avoir remplacé le classique « fraternité ». J’aimerais avoir autant de millions que le nombre de fois où est prononcé « inclusion » s’agissant des handicapés.

Et les femmes et hommes politiques, les entreprises, nous proposent des mises en scène toujours plus nombreuses sur leur engagement dans la dite inclusion. Les photos des réunions sur l’inclusion, dans les établissements scolaires, lors des rencontres sportives, dans les entreprises, envahissent les réseaux sociaux. Ce sont parfois uniquement des postures d’affichage. Certains n’hésitent pas à s’offrir une image vertueuse sur le dos des personnes différentes.

Mais, comme l’a écrit récemment le champion de tennis paralympique Michael Jeremiasz : « l’entreprise n’a pas à être inclusive. Elle doit être l’entreprise, cette organisation riche de talents divers permettant de créer une valeur sociale (un bien commun) autant qu’économique (un service pour tous). »

Et il poursuit : « la ville n’a pas à être inclusive, elle doit être la cité, cet espace où tous les citoyens évoluent libres et égaux en droit. »  L'expression inclure les handicapés m'a toujours mis mal à l'aise moi aussi, cela m'évoque qu'au départ ils n'appartiennent pas au groupe, qu'il sont en marge, qu'il faut les intégrer.

 Michael Jeremiasz nuance et explicite : « Je comprends l’importance de signaler le chemin vers une meilleure prise en compte des différences, et vers une action positive pour corriger des situations discriminatoires. »

Pour terminer, il qualifie l’étendard inclusif d'« handiwashing » car explique-t-il « la question n’est pas de savoir si les handicapés doivent être inclus mais dans quelles conditions la société peut arrêter de rogner la citoyenneté des handicapés au quotidien » FF