samedi 7 juin 2025

Le marché de la seconde chance


 

Vous êtes divorcée, vous êtes séparée.

On a toutes (et tous) une bonne ou une mauvaise raison de mettre un terme à une relation, même si elle est très ancienne.

J'ignore encore quand il est vraiment licite de faire ce choix.

Cette décision semble évidente lorsqu'il y a eu des violences physiques ou psychologiques, mais moins, aux yeux des autres en tout cas, après des circonstances jugées plus anecdotiques ou insuffisantes.

Parce que vous l'avez surpris emboîté dans votre meilleure amie.

Parce que vous ne voulez pas croire qu'il utilise Dayuse uniquement pour être au calme dans une chambre d'hôtel pour travailler.

Parce que tous les deux, vous ne vous aimez plus, parce qu'il y a plus d'éléments qui vous séparent que d'éléments qui réparent.

Parce que vous avez trouvé une facture d'un joaillier mais jamais vu le bijou correspondant.

Parce qu'il utilise votre compte Paypal pour mater des filles toujours plus jeunes s'enfoncer des objets toujours plus larges dans l'anus ou le vagin sur leurs comptes OnlyFan.

Parce que ce n'est pas avec vous qu'il a décidé de retourner dans ce restaurant étoilé que vous aviez adoré.

Parce qu'il était sur Gleeden bien avant que vous y soyiez.

Parce que vous vous êtes lassée de devoir le convaincre du bien fondé de vous aimer.

Parce qu'il ne vous soutient pas, parce qu'il ne vous aime plus, et son indifférence qui est une forme silencieuse et mineure de violence vous a rendue hostile.


Vous êtes divorcée, vous êtes séparée.


Votre entourage envisage davantage votre solitude que votre soulagement. Gentiment on vous pose régulièrement la main sur l'épaule en vous demandant si vous avez recruté un remplaçant. Vos connaissances épluchent leurs carnets d'adresses pour vous y aider.

Presque paradoxalement, vous êtes moins invitée, vous présentez moins d'intérêt, tout-à-coup incomplète, vous ne faites plus partie d'une entité.

Cependant, faut-il forcément un nouvel amour pour avoir la peau du précédent ? Ou est-ce juste parce qu'à raison, on estime que vivre en couple est source de plus de bonheur que vivre seule ?



Avant de faire la connaissance de nouvelles personnes, il faut vous assurer de l'avoir vraiment oublié, d'avoir pris la bonne décision, de préférer l'éventualité de la solitude, ceci même si vous le croisez avec une déesse. 

Sinon, vous allez explorer une relation pansement, n'avoir qu'un lot de consolation, ou enchaîner les aventures. Pourquoi pas si elles sont excitantes ou passionnantes, mais seulement si elles vous font du bien.

Puis, un jour, vous décidez de vous inscrire sur une application de rencontres.

Vous vous persuadez que n'est pas un aveu d'échec. La plupart des couples formés depuis 10 ans se sont rencontrés ainsi.



Vous jugeant trop âgée, vous évitez peut-être à tort l'appli T, vous commencez votre profil sur cette application jaune à la mode que des amis vous ont conseillée.

Peut-être y trouverez-vous celui qui va faire plus que s'aimer à travers vous, en tout cas vous vous le dites pleine d'espoir. Celui qui sera dans la même situation que vous au même moment avec les mêmes attentes, autant dire l'aiguille dans une meule de foin.



Vous téléchargez vos meilleures photos, pas des images floues en peignoir après une sieste, histoire d'être un minimum attirante, mais pas les photos de vos 25 ans non plus. Vous ajoutez quelques réponses correspondant à vos intérêts et loisirs. Vous lisez cette consigne simple et précise : faites une description amusante et accrocheuse.

« Blonde, lumineuse, sportive, je sauve des vies » trop ambitieux, vous effacez, vous craignez que les utilisateurs imaginent Pamela Anderson courant au ralenti sur la plage de Malibu.



Vous commencez à scroller et à swiper, moderne que vous êtes.

Vous entrez dans une sorte de supermarché. Vous êtes hésitante avec votre panier de courses, vous restez concentrée devant tous les produits proposés.

Les sportifs, les chefs d'entreprise, les médecins, comment choisir ? Et lui vous le connaissez, il est marié, vous l'avez croisé la semaine passée avec sa famille. Un homme pas libre sur un site de rencontres ?



Oh les abdos ici, c'est photoshop ou il y a beaucoup de travail !

Vous êtes méfiante quand ils s'estiment ouverts aux enfants. Sont-ils ouverts aux vôtres ou préfèrent-ils une femme jeune (en tout cas plus jeune que vous) pour en avoir ?

Vous swipez à gauche estimant ne pas avoir le profil recherché.



Vous découvrez que beaucoup n'ont pas respecté la consigne : au lieu de faire leur description, ils indiquent leurs préférences et dressent une wish list.

Mince, Eric souhaiterait une skieuse pour partager une raclette en haut des pistes, vous qui ne pratiquez plus le ski et qui détestez les fromages fondus.



Ils détaillent la femme qu'ils attendent ou en tout cas, les points non négociables.

Fine (c'est jusqu'à quel IMC qu'on est fines?), sportive, autonome, dynamique, féminine, douce, intelligente... sont les termes revenant le plus fréquemment. Ils sont parfois très exigeants, vous vous sentez toute petite. Serez-vous à la hauteur ?



Certains l'expriment sous forme d'injonctions ce qui n'est pas très vendeur : « si tu es possessive, colérique, dominatrice…, passe ton chemin » et contre-productif. Qui s'estime franchement hystérique ou jalouse ou autre défaut rédhibitoire ?

Ou sous forme de demandes précises à quelqu'un qu'ils ne connaissent pas encore : « si tu veux me séduire (sic), il faudra savoir me dorloter... » « tu me plairas si tu fais souvent preuve d'espièglerie... » Là, vous swipez à gauche ignorant si vous seriez assez espiègle pour Jerémie.

Souvent, ils s'essaient à plus de subtilités : « si tu partages mes valeurs et que tu as mes qualités... »



Autre compétence espérée : l'humour. Vous n'avez pas remarqué depuis toutes ces années à faire le clown en soirée que l'humour ajoutait tant au charme féminin mais plutôt qu'il cantonnait à une image de boute-en-train, de bonne copine marrante, sûrement pas de femme fatale. C'est là qu'est le premier décodage. Ils s'annoncent nombreux. Avoir de l'humour ici, c'est surtout comprendre le leur.



Quelquefois, vous matchez. Vous vous écrivez, ils vous racontent leur histoire. Et le décodage continue. Si vous ne répondez pas à un message dans les 30 minutes, ils passent à la personne suivante, la multitude d'utilisatrices pousse au ghosting. Vous n'êtes qu'une photo parmi tant d'autres, un profil parmi tant d'autres. Si votre réponse n'est pas jugée adéquate, même résultat, le ghosting pour réponse. Vous apprenez et vous agirez à l'identique rapidement.

De trop nombreuses discussions tournent à l'entretien d'embauche, certaines remarques vous inquiètent : « qu'attends-tu de nous ? » alors que pour l'instant il n'y a pas de nous. Certains parlent de leurs ex, parfois que de leurs ex... Ils ne veulent pas une nouvelle relation, ils veulent prendre leur revanche.



Des utilisateurs se fabriquent simplement une sorte de base de données, ils reviendront vers vous leur liberté retrouvée. Et lorsqu' Arnaud vous signifie « j'ai une semaine de travail très chargée » vous comprenez rapidement qu'il est occupé avec une autre, et surtout qu'il ne faut pas attendre un message ou un appel, ce cas est général. Si vous souhaitez discuter ou rencontrer quelqu'un, que vous soyez une femme ou un homme, vous devez foncer, c'est la jungle. C'est le domaine de surconsommation numérique par excellence, pour certains une véritable addiction.



Vous êtes exténuée, vous supprimez votre compte, mais ces échanges vous ont beaucoup appris et vous ont permis une introspection inattendue.



Merci à Benjamin Fogel et Alex Jaffray avec lesquels j'ai évoqué mon projet d'écrire sur le sujet.

FF




dimanche 7 janvier 2024

Tous mes voeux de célibat(aire)! Bonne année 2024!

 


Depuis ma séparation, j’étudie avec beaucoup d’intérêt les attitudes de mon entourage amical, familial, professionnel, virtuel. Globalement les gens proches ou non, en couples ou pas, m’apportent surtout beaucoup de soutien et m’enveloppent de leur solidarité, de leur amitié, de leur bienveillance.


Certains y vont de leurs analyses, de leurs commentaires. Les réactions sont parfois inattendues, l’examen des tenants, des circonstances et des aboutissants est plus varié que prévu.


D’abord la version hésitante, ceux qui ignorent quel mot employer : « séparation, rupture, placage » comme au rugby, « libération », comme si j’avais purgé une peine de prison. 


Puis, la version endeuillée ou larmoyante, certains semblent présenter leurs condoléances. « A jamais dans nos cœurs » « Tu as fait ce que tu as pu » comme si je n’avais pas réussi à réanimer un patient. "Aviez-vous fait une thérapie de couples" (et ainsi dépenser l'équivalent de 4 paires de Free Lance)


Et, la version inquiète, pressante, anxieuse. « Comment ça va se passer pour toi ? » « As-tu commencé à chercher quelqu’un d’autre ? » « Il n’y a pas de temps à perdre » « T’es-tu déjà inscrite sur Adopte le prochain qui regardera ses messages pendant que tu lui parles ? »


Il y aussi les devins dans la version tarot. Celles et ceux qui savaient ce que toi tu ne savais pas encore ou que tu faisais mine de ne pas savoir. « J’en étais sûr(e) »


Ou au contraire la version étonnée. « ah bon, ça arrive de se séparer au bout de tant d’années ? »


Evidemment la version hypocrite de celles qui gravitent telles des mouches autour de lui qui font mine d’être peinées par cette séparation.


Pire, la version accablante qui te remue le fer dans la plaie. « il n’a jamais pensé qu’à lui » « il n’a jamais pensé à toi »


Enfin la version festive voire alcoolisée de mes copines de promo de médecine, elles pensent que le mariage est la dernière forme légale d’esclavagisme : « un grand moment de liberté s’offre à toi » « cool, j’ai du champagne au frais ! »


Bref, je vous souhaite tous mes vœux de célibat(aire) pour 2024, une année avec la santé, pleine de projets, de promesses et de surprises ! FF

 

mercredi 8 mars 2023

Journée internationale du droit des femmes 8 mars

 

-        C'était le 8 mars, c'était la journée internationale du droit des femmes. Aucune phrase, aucune expression, même celles prononcées par des femmes, même celles qui semblent des plus banales, n'est anodine. Toutes celles qui suivent, je les ai entendues, vous aussi. Pensez-y.

- Nous avons fait la 2e écho obstétricale, malheureusement c’est encore une fille.
- Gardez vos nerfs, madame, ne vous énervez pas.
- Quelle connasse a bien pu se garer comme ça ?
- Je voudrais voir le docteur, ah bon c’est vous le Dr Fischer ?

- C’est pas un peu dangereux de sortir habillée avec ce mini-short ?
- Il adore sa petite dernière alors qu’il espérait vraiment avoir un garçon.
- Ne pleure pas comme une fille, sois fort voyons.
- Elle est tombée amoureuse, je suis sûr qu’elle va se marier et abandonner ses études.
- Il ne veut plus faire de danse, ses petites camarades lui ont fait remarquer qu’il était le seul garçon.
- On te passera pas le ballon t’es une fille !
- Elle ne met que des pantalons, c’est un garçon manqué
- Je ne sers pas la main des femmes, je suis religieux
- Il n’est pas très beau, heureusement c’est un garçon
- Il était énervé, il lui a mis une gifle, c’est pas si grave, ça peut arriver à tout le monde.
...
Aucune phrase, aucune expression n’est anodine.

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mardi 15 novembre 2022

La société aide-t-elle les aidants et inclut-elle vraiment les enfants et adultes porteurs de handicap?

 

Voilà, les premières vacances après la rentrée viennent de s'achever, l’année scolaire est bien amorcée. Plus de photos de couchers de soleil, de mamans parfaites en bikinis, ou de nouveaux cartables Spiderman ou Barbie sur Instagram. Vous avez pleins de résolutions, plein d’idées. Vous avez choisi la résidence étudiante pour votre aînée en école de commerce de banlieue parisienne, trouvé un stage dans une pâtisserie à votre deuxième, réinscrit votre dernier à ses activités. 

Vous avez eu le casse-tête du choix de son établissement, public ou privé. Vous espérez qu’il sera dans la même classe que ses copains. Vous craignez sa trop intense vie sociale, ses sorties, toutes les invitations à des soirées, à des dîners.

Pour nous parents d’enfants ou d’adolescents porteurs de handicap, parents aidants, cette organisation est angoissante et douloureuse, que ce soit pour « un enfant sans histoire » ou au contraire pour un enfant avec trop d’histoires. Elle fait suite à la période d’été où il a déjà fallu réfléchir à comment l’occuper : pas de structure adéquate, pas d’amis pour lui proposer de l’emmener…

Nous devons nous poser des questions que la majorité n’a pas à se poser : nouveau dossier MDPH (maison départementale des handicapés) de plus de 20 pages à remplir qui ne sera étudié que 4 à 18 mois après, structure ordinaire avec AESH, AEEH, ou IME, CLIS pour les plus jeunes, ULIS… Ces acronymes vous sont inconnus à vous parents de la chance.

Il nous faut également prévoir les aides humaines ainsi que le budget alloués à son bien-être, sa sécurité, sa santé, sa scolarité. Tout ceci demande une énergie et une adaptabilité extraordinaires. Heureusement, je suis épaulée par des amis et des parents formidables.

Le tout avec cette boule au ventre qui ne nous quittera jamais et que nous essayons de ne pas laisser transparaître ni devant lui parce que ça ne ferait qu’ajouter à ses propres inquiétudes et souffrances, ni devant nos connaissances, que nous laissons nous abreuver de tous les exploits de leurs progénitures (il est ceinture noire au judo, il a tellement de facilités qu'il n'a pas besoin de travailler…)  

 Comment sera son nouvel établissement cette année ? Même s’il est « prévenu » sera-t-il accueillant, bienveillant ? Comment sera le regard des autres, adultes et enfants, cette année ? Va-t-il être harcelé, va-t-il être moqué ? ? Qui voudra chercher à le comprendre ? Mon enfant sera-t-il assez adapté ? Qui va vouloir l’aider ? Qui acceptera de « s’adapter » ? Qui va l’aimer ?

Nous nous préparons particulièrement avant la rentrée à affronter tous ces regards. Heureusement nombreux sont enveloppants, gentils, compatissants. Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d'approcher Yann Bucaille. Après avoir rencontré un jeune trisomique qui voulait un travail, il est passé du stade de compatissant à celui d’agissant en fondant les Cafés Joyeux. « La richesse la plus grande est la richesse humaine » se plaît-il à déclarer. J’espère qu’il sera à mes côtés dans une nouvelle épopée.

Certains sont indifférents, j'ignore comment ils font, les gens qui ne se sentent concernés ni par la maladie, ni par le handicap. Ce sont des situations qui n’arriveraient qu’aux autres. Certains sont hostiles, ils émettent des avis négatifs parfois d'emblée : il ralentit la classe, il n'est pas à sa place…

Et ceux qui vous posent la main sur l'épaule en vous disant « bon courage », ceux qui portent un regard condescendant presque pathétique.

Je ne demande pas de commisération, je n’affirme jamais, même pour me consoler, que mon enfant est extraordinaire ou essentiel pour les autres. J’ignore si le handicap est une richesse pour la société mais il fait partie de la société.

Le triptyque inclusion-bienveillance-diversité semble bien avoir remplacé le classique « fraternité ». J’aimerais avoir autant de millions que le nombre de fois où est prononcé « inclusion » s’agissant des handicapés.

Et les femmes et hommes politiques, les entreprises, nous proposent des mises en scène toujours plus nombreuses sur leur engagement dans la dite inclusion. Les photos des réunions sur l’inclusion, dans les établissements scolaires, lors des rencontres sportives, dans les entreprises, envahissent les réseaux sociaux. Ce sont parfois uniquement des postures d’affichage. Certains n’hésitent pas à s’offrir une image vertueuse sur le dos des personnes différentes.

Mais, comme l’a écrit récemment le champion de tennis paralympique Michael Jeremiasz : « l’entreprise n’a pas à être inclusive. Elle doit être l’entreprise, cette organisation riche de talents divers permettant de créer une valeur sociale (un bien commun) autant qu’économique (un service pour tous). »

Et il poursuit : « la ville n’a pas à être inclusive, elle doit être la cité, cet espace où tous les citoyens évoluent libres et égaux en droit. »  L'expression inclure les handicapés m'a toujours mis mal à l'aise moi aussi, cela m'évoque qu'au départ ils n'appartiennent pas au groupe, qu'il sont en marge, qu'il faut les intégrer.

 Michael Jeremiasz nuance et explicite : « Je comprends l’importance de signaler le chemin vers une meilleure prise en compte des différences, et vers une action positive pour corriger des situations discriminatoires. »

Pour terminer, il qualifie l’étendard inclusif d'« handiwashing » car explique-t-il « la question n’est pas de savoir si les handicapés doivent être inclus mais dans quelles conditions la société peut arrêter de rogner la citoyenneté des handicapés au quotidien » FF

 

 

 

mardi 20 septembre 2022

On n'a pas tous les jours 20 ans!

 

Mon grand garçon,

On n'a pas tous les jours 20 ans alors profites-en !

Etre le bébé d’un apprenti médecin n’a pas toujours été facile.

Tu as failli naître pendant la visite d'un chef de service.

Tu as fait tes premiers pas dans un PC infirmier.

Tu as fréquenté les crèches de l’APHP.

Tu as beaucoup appelé tes grands parents, papa et maman.

Tu as dû accepter de laisser un peu (beaucoup) de place à ton frère.

Tu as fait avec et aussi sans, parfois en acquiesçant, parfois en rechignant.

Tu as supporté une situation inédite avec une assignation à résidence et des cours à distance.

Tu as grandi et mûri, tu t'es construit.

Tu es devenu une personne avec des avis, des opinions, des idées.

Tu m’as appris des mots.

Tu t'es interrogé sur qui tu étais et ce que tu voulais.

En te souvenant de cette phrase : « ne regarde pas d’où tu viens, vois où tu vas, seul importe à chacun »

Les origines, les racines sont un vaste sujet.

Elles sont immuables que tu en tires ou pas, force et fierté.

Par contre ton identité, au sens large, elle t'est propre, elle n'est pas figée.

Elle t'appartient, elle sera ce que tu en feras.

L'identité c'est un enjeu.

Un enjeu personnel, un enjeu politique, un enjeu de société.

Et surtout un enjeu de liberté.

On n'a pas tous les jours 20 ans alors profites-en !




Maman.




dimanche 7 août 2022

Une vieille maladie contagieuse

 




C’est l’histoire d’une jeune femme Phyllis, 22 ans, dont vous apercevez avec son accord l’arrière-gorge sur la photo et en particulier son amygdale gauche avec une zone creusée blanchâtre en son centre. Cette jeune femme avait une symptomatologie d’angine non fébrile : mal de gorge, un ganglion douloureux et gonflé, difficultés lorsqu’elle avalait…

Son médecin généraliste, a évoqué une atteinte due à une bactérie classique mais en prescrivant des prélèvements de la zone suspecte de la gorge au laboratoire, il a également demandé une recherche de treponema pallidum. Et là, bingo, le tréponème a été retrouvé en grandes quantités. C’était donc un chancre syphilitique. Le chancre signe dans cette maladie le point d’inoculation c’est-à-dire la zone de pénétration de l’agent infectieux…

Lorsqu’il me l’a adressé pour explications et traitement, elle a eu la même réaction que tous les gens à qui on parle de syphilis : « ça existe encore cette maladie, ça n’a pas disparu ? »

Je lui ai expliqué que la syphilis était une infection sexuellement transmissible, très contagieuse et potentiellement grave. De plus, comme de nombreuses IST, elle peut passer inaperçue : chancre indolore, dans un deuxième temps plaques de syphilis secondaire prises à tort pour une atteinte non infectieuse… J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer cette maladie qui n’a jamais disparu, en détails (1,2).

Comme une infection sexuellement transmissible peut en accompagner d’autres, il faut toujours les rechercher même en l’absence de symptômes (cas le plus fréquent), un bilan IST s’imposait. Les IST se transmettent principalement par contact cutané lors d’un rapport sexuel par voie vaginale, anale ou orale. La transmission a lieu également via des caresses intimes, des rapports bucco-génitaux, avec ou sans pénétration.

Le bilan est à la fois sanguin et génital : sérologies HIV, hépatites virales B et C, sérologie syphilis (pour suivre son évolution), sérologie herpès, recherche de gonocoques, chlamydiae, trichomonas, frottis cervico-vaginal pour la recherche de papillomavirus… Si les IST ne sont pas traitées ou prises en charge tôt, les conséquences sont préoccupantes : salpingite (atteinte des trompes), stérilité, troubles de la fertilité… pour certaines, hépatites chroniques ou pire pour d’autres.

Par ailleurs, j’ai mené mon enquête auprès de Phyllis en évoquant les partenaires des dernières semaines et de découvrir ainsi le patient 0. Le but étant de couper court à une épidémie, c’est une étape essentielle.

Je l’ai vue énumérer ses dernières conquêtes : Tim, Sami, Edouard, Florian et Mona...« Je suis encore trop jeune pour me cantonner à une seule sexualité, je ne me veux pas me décider » m’a-t-elle fait remarquer. Aucun rapport n’avait été protégé. Pour être claire, je me réjouis que les gens aient des relations intimes et je n’ai aucun problème moral ni avec l’infidélité ni avec les partenaires multiples.

En revanche, malgré un interrogatoire poussé et des investigations avec l’accord des partenaires, je n’ai jamais réussi à trouver qui avait contracté la maladie en premier, ni réussi par conséquent à briser la chaîne de transmission et ça c’est un gros problème : la syphilis circule dans Paris… FF

1.       1. https://www.huffingtonpost.fr/life/article/la-syphilis-est-elle-une-maladie-du-present-ou-du-passe_74645.html

2. https://www.lisez.com/livre-grand-format/confidences-dune-dermatologue/9782221238707

dimanche 24 juillet 2022

C'est difficile d'avoir un rendez-vous en dermatologie!


 

Mon métier est précieux. Je ne collecte pas les perles des huîtres, je ne suis pas chercheuse d’or ni même poseuse de girouettes, je suis dermatologue. Avant quand je le disais j’avais parfois droit à : « alors, c’est quoi ce bouton sur ma jambe ? »  et désormais c’est plutôt, les yeux brillants : « ah oui ça existe encore ? Vous prenez des nouveaux patients ? »

En effet, pendant de nombreuses années, les dermatologues en exercice avaient soit un diplôme appelé CES soit le diplôme actuel appelé DES (après avoir réussi le concours de l’internat ou les épreuves nationales classantes puis fait les quatre années de l’internat en dermatologie). Les CES sont en train de prendre petit à petit une retraite bien méritée. Le numerus clausus a été si drastique depuis plus de vingt ans, et pour le passage en deuxième année, et pour l’admission au concours de l’internat en sixième année, que le renouvellement n’est pas suffisant. Trois dermatologues partant à la retraite pour seulement un nouveau diplômé, était l'ordre de grandeur depuis plusieurs années. Depuis environ deux ans, le nombre de postes d'internes en dermatologie a été augmenté. L'équilibre n'est prévu qu'en 2030. La dermatologie n’est certainement pas la seule spécialité souffrant de ce double numerus clausus. Elle est assez emblématique des difficultés de la médecine en France.

Or, et j’en parle avec beaucoup d’affection et de fierté puisque c’est celle que j’ai choisie, cette spécialité est très étendue, elle va de l’infectieux à la cancérologie en passant par la médecine interne, les maladies auto-immunes, elle est indispensable à chacun et difficile à déléguer.

N'écoutez pas les mauvaises langues qui vous balancent que c’est parce que les dermatologues ne font plus que de l’esthétique et que c’est pour cela qu’ils n’ont pas de rendez-vous de dermatologie médicale. Cette affirmation est du même acabit que prôner la réintégration des soignants non vaccinés arguant qu’on en a absolument besoin pour faire tourner les hôpitaux… 

D’abord, il y a énormément de demandes esthétiques des femmes et des hommes de tous les âges. Il y a d’ailleurs beaucoup de médecins généralistes qui pratiquent exclusivement la médecine esthétique. Ensuite, il vaut mieux que cela reste des gestes médicaux, et pas des injections réalisées par des influenceuses faisant leur pub sur internet, travaillant dans leur cave, sans connaissance, sans formation, sans notion anatomique. L'esthétique est une partie intégrante de la dermatologie.

Les nouveaux diplômés, et en l’espèce surtout nouvelles diplômées, en dermatologie rechignent à s’installer en libéral pour plusieurs raisons. Certains préfèrent l’hôpital où les pathologies sont souvent plus compliquées, les cas plus intéressants. Et aussi parce que les 35 h hebdomadaires sont assurées pour les praticiens hospitaliers.(les titulaires) 

En effet, ils sont attachés à des notions que nous, leurs aînés,  n’évoquions pas encore : les conditions de travail, la qualité de vie. Ce n'est pas un problème de vocation car elle ne manque pas aux bacheliers. Ils sont toujours plus nombreux à cocher ce cursus sur Parcours Sup.  

Mais après les 4 ou 5 ans d'internat, forme légale d'esclavagisme hospitalier, celles et ceux qui sont parvenus à ne pas faire de burn out, à ne pas se suicider (1) à être en couple, à être apaisés, aspirent à une vie agréable. Le médecin corvéable et taillable à merci tend à disparaître, et c'est heureux. Parmi les remplaçant(e)s ou les nouveaux installé(e)s personne ne souhaite travailler après 18h ou les samedis alors que les charges liées au fonctionnement d’un cabinet, et à l'Etat, demeurent importantes.

Les lourdeurs administratives sont aussi un point noir de l’installation. Je suis étonnée que l’état pour inciter les jeunes médecins à s’installer, ne participe pas à aider à ces tâches, désert ou pas, puisque tout le pays sera bientôt un désert médical. Car s’il est onéreux de former un médecin, et qu’il n’a pas été décidé d’allouer des sommes supplémentaires pour en former plus, fournir des agents administratifs (comptabilité, secrétariat…) est facilement envisageable.

Dernier élément à soulever : le comportement des patients. Ceux qui réservent un rendez-vous et qui ne viennent pas. Combien de rendez-vous non honorés avons-nous par semaine ? Ceux qui viennent en urgence pour un bobo ?

Comment manager les patients ? Filtrer en faisant une sorte de préconsultation ? Hiérarchiser les motifs ? Les responsabiliser pour qu’ils ne vous plantent pas empêchant d’autres patients atteints de maladies graves d’être vus à temps ? Les faire régler une consultation non effectuée (2)? 

La médecine en France en terme d’organisation, en terme de gestion, en terme d’image, est à repenser, à refonder entièrement avec les médecins, les patients et tous ces éléments, ceux de 2022. 

FF

1. https://start.lesechos.fr/societe/engagement-societal/un-interne-se-donne-la-mort-tous-les-18-jours-pour-cause-de-surmenage-stop-a-lhecatombe-1778923#

2. https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/exercice/faire-payer-les-consultations-non-honorees-chez-les-medecins-une-petition-cartonne