Parce qu’ils soignent la peau, les dermatologues sont aussi bien consultés pour des maladies affichantes que des problèmes très intimes, pour de l’acné mais aussi certains cancers, sans compter les demandes esthétiques… A quoi peut donc bien ressembler leur quotidien professionnel ? Dans son livre Confidences d’une dermatologue, Flora Fischer lève le voile sur les aspects les plus forts – et les plus psys, aussi – de son métier , et décrit sa fascination pour la peau et ses mystères. Interview.
La dermatologie est-elle une spécialité médicale « comme les autres » ? A la lecture de votre livre, on découvre un certain nombre de particularités…
La dermatologie est avant tout une spécialité très étendue, c’est d’ailleurs ce que j’ai toujours aimé. On traite des questions assez banales, qui ne sont pas graves du tout, comme des pathologies infectieuses, inflammatoires et des cas parfois très graves, avec la cancérologie cutanée. C’est aussi une spécialité qui se coordonne avec d’autres : la pédiatrie, la cancérologie et la psychologie, aussi. C'est une spécialité très riche sur le plan intellectuel, mais aussi sur le plan humain.
Justement, votre métier induit-il un côté « psy » un peu plus développé ? On parle souvent des relations entre notre peau et notre mental…
C’est vrai, en dermatologie, nous avons une relation particulière avec les patients. Dans nos consultations, les rapports au corps et à l'intimité y sont omniprésents et donnent parfois lieu à des situations étonnantes ou embarrassantes. Les patients se mettent nus et se mettent à nu et me font entrer dans leur univers privé. Par exemple, il est plutôt rare de raconter à son ORL des détails sur ses relations amoureuses. Alors que je suis, moi, du fait de ma spécialité, au cœur de multiples confidences. Je passe de pathologies courantes à des maladies plus délicates et j’en vois souvent des vertes et pas mûres.
Vous mentionnez également des demandes de patients assez particulières, notamment en esthétique, qui peuvent être problématiques en tant que médecin.
Nous sommes amenés à voir des patients qui vont nous faire des demandes esthétiques extrêmes. Et ça, oui, c’est très compliqué. Il faut parvenir à évaluer ce que les patients attendent d’une réparation, d’un changement ou d’une amélioration esthétique. Par exemple, si une patiente me consulte en me disant : « on voit trop mes sillons naso-géniens car j’ai perdu du poids récemment et cela me gêne » alors oui, très bien, c’est exactement un cas où il faut intervenir.
Mais si les demandes sont démesurées et que le patient pense qu’en changeant quelque chose dans son physique, tout va changer dans sa vie, s’il est persuadé que tous ses problèmes du moment vont être réglés avec un petite réparation, alors oui, là, c’est problématique.
Les chirurgiens esthétiques sont régulièrement confrontés à ce genre de demandes démesurées et nous devons tous nous rappeler qu’une demande de transformation physique radicale est une quasiment toujours une demande de transformation d’une histoire. Il est toujours dangereux de trop attendre d’une transformation physique.
Bien sûr, nous avons tous nos complexes, des choses que nous n’aimons pas dans notre apparence. Mais notre visage, bien souvent, représente notre identité, notre héritage, nos origines. Moi, par exemple, j’ai les taches de rousseur de ma grand-mère et je ne les aime pas trop, mais elles sont bien là. Beaucoup de très jeunes femmes se font opérer du nez pour avoir de tout petits nez, c’est à la mode, mais parfois, elles en ressortent un peu perturbées car elles ne retrouvent plus le caractère familial dans leurs traits…
Comment parvenez-vous à évaluer ce qui se cache vraiment derrière les demandes de ces patients ?
Ce n’est vraiment pas évident d’apprécier la demande d’un patient lors d’un simple rendez-vous. Et pas évident non plus de dire « non » et de faire comprendre cette décision. Je pense d’ailleurs que j’ai perdu certains patients précisément parce que je leur avais dit non.
Les cours de médecine ne nous préparent pas concrètement à faire face à ces situations. Pendant mes études, j’ai suivi des cours d’éthique en 3ème année, notamment avec Axel Khan ; mais ensuite, que ce soit pendant mon internat ou ma spécialisation de dermato, je n’ai pas eu, en plus de la formation pratique, de cours sur la relation médecin-patient. Comment faire quand on est seul face à un patient qui hurle ? Comment réagir face à un patient qui veut se transformer exagérément sur le plan esthétique ? On l’apprend seul en cabinet, sur le tas.
Et qu’en est-il de l’annonce de maladies graves, vous qui, notamment, traitez certains cancers ?
L’annonce d’une pathologie grave est toujours difficile. Elle est difficile à l’hôpital : il n’y a pas d’espace intime, le personnel va et vient dans la pièce, les patients s’enchaînent… C’est le problème de l’hôpital qui tend à déshumaniser les rapports humains. Mais au milieu de toutes les blouses, le patient comprend qu’il a toute une équipe pour s’occuper de lui, ce qui peut le rassurer.
C’est précisément ce qui est dur quand on travaille en cabinet : quand on donne un diagnostic, on est seul face au patient, à sa pathologie, à son agressivité aussi parfois. La parole ne peut plus être diluée entre les différents médecins, comme à l’hôpital, où plusieurs personnes interviennent, du chef de service à l’interne.
Donc oui, c’est toujours difficile, mais comme partout, il y a des gens qui sont plus doués que d’autres pour les relations humaines. Par exemple, certains médecins sont venus à la médecine car ce qu’ils aiment, c’est régler un « problème du corps » avec les connaissances dont on dispose. Percer une énigme grâce à des indices… C’est typiquement le cas « Dr House ». Mais ces personnes-là ne sont pas toujours intéressées par la relation avec le malade. Or la médecine, et la dermatologie certainement un peu plus encore, est un métier de contact. Que l’on soit formé ou non, mieux vaut être à l’aise avec les relations humaines.
On évoque souvent un lien fort entre notre peau et notre état psychique, nos états d’âme, nos émotions. Ce lien dont on parle souvent est-il prouvé scientifiquement ?
Des liens sont prouvés, en effet. Mais ils ne se caractérisent pas toujours d’une manière aussi simple qu’on le croit. Par exemple, on ne peut pas dire « Je suis stressé, j’ai une crise de psoriasis ». Car le stress seul ne provoque pas le psoriasis, en général il faut des antécédents, etc… Mais effectivement, on sait que des états de stress déclenchent des poussées de certaines pathologies : l’eczéma, le psoriasis, la dermite séborrhéique.
Mais le lien direct est toujours difficile à établir. Par exemple, on parle souvent de la pelade, qui est une maladie auto-immune qui fait perdre ses cheveux, ses sourcils et qui est donc très affichante. On a souvent tendance à chercher un facteur déclenchant du côté d’un stress très fort, d’un décès, etc… Sauf que lorsqu’on fait des biopsies sur les zones concernées, on remarque des infiltrats inflammatoires, des infiltrats lymphocytaires… Cela signifie qu’il y a une réelle pathologie dermatologique, mais on ne sait pas quelle est la « cascade inflammatoire » qui l’a provoquée. Et l’on se dit que les facteurs psychologiques ont un rôle. J’ai effectivement vu dans ma carrière des petits patients qui faisaient des pelades fin août avant la rentrée scolaire ! Donc oui, il y a forcément un lien mais le lien scientifique et biologique est compliqué à établir.
Après des années d’études et d’exercice, la peau vous a-t-elle livré tous ses secrets ? N’y a-t-il pas un effet de lassitude ?
La peau est vraiment un organe à part : elle est la première chose que l’on voit chez quelqu’un, elle est liée à la beauté, à notre état physique… Il n’y a qu’à voir tout le tintamarre autour du bronzage, que l’on associe dans nos esprits à quelqu’un qui est en forme physiquement… Alors que la seule conclusion que l’on pourrait tirer face à quelqu’un de bronzé, c’est qu’il a été sur la plage et qu’il a pris le soleil.
D’un point de vue physiologique, la peau est aussi une barrière, un révélateur de problèmes physiques, on vient d’en parler, de problèmes psychiques. Mais c’est aussi et surtout un organe de la symbolique : « avoir quelqu’un dans la peau », « se mettre dans la peau de », « être mal dans sa peau »... On ne dit jamais « être mal dans ses reins » ! La peau est un organe noble, et un organe incroyable.
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